Le cendrier volcanique qui s’est déversé dans notre ciel a eu nombre de mérites, dont celui de rappeler que le tourisme de masse n’est pas l’avenir de l’homme. Autre bienfait : il est désormais permis de critiquer le sacro-saint principe de précaution. Sous la fumée pourrait naître un débat.
Mathieu Laine y apporte sa pierre dans un essai percutant intitulé La Grande nurserie. Dans la nouvelle édition, récemment parue en poche chez Lattès, il n’est pas question du volcan, mais des progrès de la religion du « risque zéro ». Il y recense avec drôlerie les injonctions et interdits qui bétonnent nos existences jusqu’à l’absurde, s’amuse du calendrier des bons sentiments qui comporte −le saviez-vous ?− une Journée de la gentillesse et une pour la courtoisie au volant.
[access capability= »lire_inedits »]Mathieu Laine n’est pas un anarchiste primaire. Ce jeune homme au cerveau bien fait a la particularité d’être un libéral assumé. On soupçonne parfois chez lui un fond de darwinisme social dénué de tendresse pour les éclopés. Il s’en défend. D’accord pour que la puissance publique aide les plus faibles et même pour une interruption temporaire du trafic aérien. Pas pour que la précaution devienne, sous la tendre surveillance d’un État aussi abusif qu’une mère, la maxime de nos conduites privées et de notre vie publique.
C’est contre cette sollicitude que Mathieu Laine ferraille avec ironie. À force de régenter nos comportements, l’État en vient à vouloir contrôler nos pensées − sous couvert d’extirper de nous les mauvaises, bien sûr. Ce n’est plus à Dieu que nous demandons de nous délivrer du mal, mais à l’Etat-nounou.
Nous avons voulu la Grande nurserie
Il y a dans tout cela une grande injustice. Du sexe au tabac, de la vitesse à la paresse, vous pouvez cesser toute activité répréhensible et délicieuse, faire de votre vie une perfection dans la précaution, vous ne gagnerez pas. Vous fumez, vous mourrez. Vous ne fumez pas, vous mourrez quand même.
Reste un angle mort qui sera peut-être le sujet du prochain livre de Mathieu Laine. Cette Grande nurserie ne nous a pas été imposée d’en haut. Nous l’avons voulue, et même exigée démocratiquement. Les grenouilles veulent un roi et le citoyen vertueux d’aujourd’hui veut une nanny qui le protège de lui-même tout en accédant à tous ses désirs. Il aspire à persister dans l’être prétendument bienheureux de l’enfance. Cette détestation de l’âge adulte n’est pas inscrite dans la Constitution. Mais nous n’avons pas fini d’en vivre les effroyables conséquences. À moins que nous décidions d’en finir avec la Grande nurserie.
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